Rencontre avec Alexandre Oppecini afin d’en apprendre plus sur l’excellent « T-Rex-Chronique D’Une Vie De Bureau Ordinaire » actuellement à l’affiche du Théâtre De La Contrescarpe !
Peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
Je m’appelle Alexandre Oppecini, je suis originaire de Bastia et j’ai une compagnie de théâtre subventionnée en Corse qui me permet de faire plusieurs créations par an dont certaines arrivent à trouver leur chemin jusqu’à Paris. Je suis auteur et metteur en scène la plupart du temps mais je peux être également comédien comme sur « T-Rex ». J’ai fait un petit peu de télé, je suis également réalisateur mais comme pour le théâtre, je reste plutôt en retrait hors de la scène ou derrière la caméra.
« T-Rex-Chronique D’Une Vie De Bureau Ordinaire » est-elle une fiction ou une réalité ?
C’est quand même une fiction même si j’ai travaillé pendant des années dans des open spaces dans des banques. Évidemment, mon inspiration est venue de là car j’ai vu beaucoup de gens faire des burn-out et péter les plombs. Parfois, c’était très drôle ; d’autres fois, c’était pitoyable et parfois, c’était très triste. Chacun, à un moment donné et à un certain niveau, arrive en fin de patience et il y a quelque chose qui lâche. J’ai beaucoup observé cela et j’ai pu moi-même l’expérimenter car les conditions de travail au bureau deviennent de plus en plus difficiles. Après, bien sûr, toute la partie avec le t-rex a été inventée même si c’est vrai que quand j’étais petit, j’ai vraiment été traumatisé avec « Jurassic Park ».
Quelle était ton idée en proposant cette œuvre au théâtre ?
On voit des gens faire des burn-out mais on ne sait jamais vraiment ce qu’il se passe dans leur vie. On met toujours tout sur le compte du travail mais il y aussi les problèmes personnels. Tout se lie et souvent, on voudrait que notre part professionnelle soigne quelque chose de plus personnel. On a l’impression de s’affirmer en tant que personne, alors que non, il y a le « professionnel » et le « personnel ». Quand la confusion se fait entre les deux, c’est là que l’on peut perdre pied. Quand on n’avance pas dans notre vie professionnelle, on a l’impression d’être une merde alors que non. Souvent, les gens qui ont un bon équilibre dans leur vie personnelle, même en bossant beaucoup et même si on abuse des fois de leur temps au travail, arrivent à se sauvegarder de ça. Il y a vraiment une intégrité personnelle à avoir et à ne pas perdre pour que les choses se passent bien et c’était cela que j’avais envie de raconter avec ce personnage qui s’appelle Alexandre.
As-tu eu des inspirations spécifiques ?
Je me suis beaucoup inspiré d’un bouquin d’une chercheuse en sciences sociales au CNRS. Ce livre de Danièle Linhart s’appelle « La Comédie Humaine Au Travail ». Cette femme a vraiment mis des mots sur ce que je pensais. On a tendance au travail à occulter la part de professionnalisme, on se dit que l’on doit être copain avec tout le monde alors qu’il faut savoir rester sur le côté professionnel afin de ne pas se faire prendre par les sentiments au bureau.
Qu’est-ce qui caractérise ton personnage ?
On sent qu’il n’est pas malheureux dans sa vie mais il n’assume pas certaines choses. Il a des petits problèmes qui ne sont pas complètement réglés avec son père car il a une manière de lui parler qui est un peu injuste. Dans son travail, il n’est pas forcément là où il voudrait, il se plaint notamment de son salaire et du métro. Il y a une frustration chez lui mais aussi de la timidité et de la jalousie car avec une petite étincelle, il peut s’en prendre à ses collègues sans se remettre en question. Quand on lui propose d’un coup de devenir manager, il met toute sa vie là-dedans et il s’y perd. Quand on lui propose ce poste, on ne lui demande pas de donner sa vie. Il y a un manque de répondant de la part de sa hiérarchie et Alexandre se sent diminué, incapable et tout cela se reporte aussi dans sa vie personnelle. Alexandre n’a pas l’impression d’être payé à la hauteur de son travail et c’est le cas. Une chose en entrainant une chose, il pète un plomb. Dans son couple, il est frustré également car la personne avec qui il est n’est pas aussi élevée que lui socialement et il a l’impression de faire un sacrifice de ce côté-là. Ils sont clairement dans une routine vieillissante, ils se font un peu chier ensemble, ils ne s’envoient plus beaucoup en l’air, il y a quelque chose de pépère qui s’est installé et il manque à Alexandre ce qui le ferait vibrer.
Quels seraient tes conseils pour éviter d’arriver au burn-out ?
Je pense qu’il ne faut surtout pas perdre le sens que l’on donne à sa vie et ne pas se laisser piétiner au bureau. Il faudrait toujours essayer de garder une sorte d’intégrité et ne pas hésiter à dire à un moment donné, ça, je ne peux pas le faire. Je pense qu’il ne faut avoir peur de se révolter contre le management car si vous arrivez à faire en une semaine ce qui vous est demandé, pour la semaine suivante, on va vous demander de le faire en quatre jours, puis trois et ensuite de suite…À un moment donné, il faut savoir dire non. Il faut savoir quel est le sens que l’on donne à son travail. Quand on n’arrive plus à évoluer, est-ce que cela ne vaut-il pas le coup de changer de boulot. Et surtout ne pas oublier de vivre. Il faut réussir à faire la part des choses. Ce ne sont que des conseils personnels mais je pense que la véritable solution est d’en finir avec ce capitalisme effréné et cette manière de vivre qui pousse toujours à la consommation. Un autre conseil serait peut-être de bien voter (rires).
Peux-tu nous en dire plus sur la présence du t-rex dans ce récit ?
J’adore ce symbole que chacun peut voir à sa manière. J’aime qu’il ait plusieurs valeurs et pour moi, il les a toutes. A son époque, il y a 65 millions d’années, quand il arrivait à taille adulte, le t-rex était le plus grands des carnivores terrestres. Il avait la mâchoire la plus puissante du monde, il choppait et gobait en entier les animaux sans prendre la peine de les mâcher. Les dinosaures étaient digérés quasiment vivants dans son estomac. Dans ce récit, le t-rex représente la machine du management et de la finance. A l’époque du crétacé, le t-rex était le plus féroces des prédateurs mais je considère qu’aujourd’hui, ce sont les hommes qui le sont. De nos jours, parmi ceux qui font le plus de mal à la nature, on retrouve toutes ces grandes entreprises du CAC 40. Je trouvais cela intéressant de faire un comparatif entre ces plus grands prédateurs qui ne se sont jamais rencontrés mais qui ; finalement ; se ressemblent beaucoup. Ce t-rex représente également cette peur d’enfant que le personnage a et dont il parle directement dans le spectacle. Après avoir vu le film « Jurassic Park », il avait l’impression ; toutes les nuits ; qu’il allait se faire bouffer par le t-rex. Dans le film, si on ne bouge pas, le t-rex ne nous voit pas et c’est quelque chose qui revient dans ses rêves comme un dépassement de soi et quand on lui propose cette opportunité au boulot, il affronte ses peurs d’enfant. Il décide d’affronter le t-rex et de bouger sans sa vie. C’est sa manière d’attaquer la finance. On se rend compte, par ailleurs, que le t-rex intervient comme un cri d’enfant qui le prévient afin d’empêcher Alexandre de se faire avoir. C’est un peu un monstre copain qui représente aussi les derniers moments de complicité avec son papa. Alexandre n’écoute pas ce t-rex et il va même essayer de le dompter en montant dessus. Pour terminer, le t-rex symbolise aussi le cerveau reptilien qui est cette part de nous qui assure les fonctions primaires. Boire, manger, dormir, se reproduire… Toutes ses fonctions essentielles que l’on met à mal lorsque l’on bascule dans le burn-out.
Vas-tu jouer « T-Rex » en entreprise ?
Non mais nous aimerions bien. Nous commençons à contacter les CE. Nous critiquons le monde de l’entreprise dans ce spectacle mais pas que et je pense qu’il y a énormément de matière à discuter après sur les conditions de travail qui sont de plus en plus difficiles à gérer mais aussi sur cet acharnement que met ce salarié à vouloir devenir manager en se faisant un peu son film tout seul.
La musique présente dans « T-Rex » est signée Infra Rem ; peux-tu nous en dire plus sur ce compositeur et sur ton envie de mettre de la musique dans ton œuvre théâtrale ?
Infra Rem est Rémi Oppecini mon petit frère, j’aime beaucoup ce qu’il fait et il a déjà sorti plusieurs albums Rock-Electro-Pop. Pour « T-Rex », il a vraiment fait une composition originale et il a cherché à mettre en musique le moment où l’on bascule dans le rêve avec une sorte de catalepsie dans le sommeil en y ajoutant des éléments de bureau, du t-rex et de la jungle. Rémi a un album en préparation et il a sorti il y a quelques mois le titre « Morning Glory ». Il a également fait récemment la musique d’un court-métrage de Fabien Ara intitulé « Clac ». Il est très bon sur ce registre là et il est également auteur. La musique dans « T-Rex » nous transporte dans l’imaginaire, dans l’esprit du personnage… Mais aussi dans son corps qui s’emballe.
Pour quel personnage de l’open-space aurais-tu le plus de tendresse et pourquoi ?
C’est terrible cette question car je les aime tous et ce serait compliqué de développer chaque personnage. Je vais parler de Myriam qui est la N+2 mais il y a une N+3, une N+4 et une N+5…Il doit y avoir encore trois ou quatre personnes entre elle et le PDG de la banque. Il ne faut pas croire, Myriam doit être dix fois plus stressée qu’Alexandre et elle doit avoir un t-rex trois fois plus grand en elle mais elle arrive à le gérer. Étant une femme, elle doit écraser des hommes et j’adore ce personnage qui est très courageux. Ce serait pareil pour Olivier…J’adore également Sandrine qui est très diligente et qui est peut-être un peu amoureuse d’Alexandre. Il faut savoir qu’il y avait encore plus de personnages mais que j’ai dû en enlever pas mal pour que le spectacle tienne en 1h20.
Comment inviterais-tu nos lecteurs à venir découvrir « T-Rex » au Théâtre de la Contrescarpe ?
« T-Rex » est très drôle, chacun peut s’y reconnaitre et chacun reconnaitra un collègue ou un voisin. C’est un bon moyen de désamorcer les choses et de rire d’un problème qui ; je pense ; va devenir de plus en plus important. J’ai envie de leur dire, venez, nous allons bien rire et un petit peu réfléchir. Je suis très heureux car beaucoup de gens me disent qu’ils n’oublieront pas ce spectacle car ils ont passé un très bon moment et cela les pousse à se poser quelques questions sur eux. C’est là que nous faisons notre véritable métier d’auteur, de metteur en scène et d’acteur.
T-Rex Chronique d'une vie de bureau ordinaire par et avec Alexandre Oppecini
Jolie salle de 110 places, près du Panthéon. Le Théâtre de la Contrescarpe propose du théâtre contemporain (dramatique, comique, politique ou historique), des concerts et des spectacles jeune...