Rencontre avec Marine Thibault au Studio Luna à l’occasion de la parution de son premier album !
Peux-tu lister pour nous les différentes casquettes que tu as dans l’artistique ?
Je suis auteure, compositrice et interprète. Beaucoup compositrice car j’aime vraiment créer des choses et improviser aussi. Je suis une musicienne multi instrumentiste, je joue de la flûte traversière, du piano, des percussions, un petit peu de guitare et de basse et je compose également de la musique électronique. J’adore écrire ; j’ai fait des études de journalisme et durant mes quelques stages, j’aimais bien rédiger des chroniques. J’ai réutilisé un peu tout ce bagage-là pour écrire des chansons qui sont un peu influencées de sujets d’actualité ; c’est une façon, quelque part, de renouer avec le journalisme. Je suis aussi DJ.
Sur ton site officiel, tu te présentes comme une musicienne nomade et électronique, peux-tu expliciter cela ?
Musicienne nomade, c’est parce que j’aime bien voyager et m’intéresser à des projets qui ont des esthétiques complètement différentes ; ça me nourrit beaucoup. J’imagine chaque rencontre ; avec une personne pas forcément avec un artiste ; comme un voyage avec plein de choses à apprendre ; une façon de voir le monde qui est très singulière ; et du coup, durant ma carrière, j’ai adoré intégrer des groupes Hip Hop, Reggae, Rock, Afro-Caribéen et faire de la grosse Techno qui tape avec mes DJ sets. Comme si j’étais une sorte de caméléon, je me suis infiltrée, j’ai vu des univers différents et ensuite, j'ai accaparé tout ce vocabulaire-là pour en faire quelque chose de personnel.
Alors que tu as utilisé plusieurs alias et monté un projet en duo avec Charlotte Savary, tu dévoiles un premier album sous ton véritable nom, pourquoi as-tu fait ce choix ?
J’ai fait ce choix car c’est la première fois dans un projet que j’utilise ma voix et mes mots, quelque chose d’extrêmement personnel ; pour moi, c’était comme livrer un journal intime. Avant, je faisais de la musique purement instrumentale ou j’accompagnais des artistes mais j’étais au second plan ; la bonne planque, on est tranquille, on a tous les avantages sans les inconvénients. Je me suis dit que quitte à exposer quelque chose de personnel, allons-y franchement avec mon nom franchouillard Marine Thibault. J’avais envie de quelque chose qui soit très sincère, brut, authentique sous mon nom avec toutes mes imperfections et tous mes avantages.
J’ai eu le sentiment que tu avais réussi à créer un univers unique sur ce disque, comment le décrirais-tu ? Utiliserais-tu notamment le terme viscéral ?
Il y a un large panel de sentiments et d’adjectifs très différents qui pourraient qualifier cet album car à des moments, je suis très énervée comme sur « Fallait Pas » et donc là, cet univers est colérique, indigné, révolté et à d’autres moments, au contraire, il va être extrêmement doux comme sur « Océan de Plénitude » et là, on va être dans quelque chose de céleste, d'aérien, de pur, de planant avec un côté aquatique, enveloppant, presque utérin. S’il y a de tels contrastes, en tout cas, l’ensemble du projet est vraiment instinctif. J’ai fait cet album de façon animale dans le sens où je n’ai pas réfléchi, c’est sorti tel quel et je suis allée à fond dans cette inspiration-là. Viscéral n’est pas un terme que j’emploie mais effectivement, cet album vient de mes tripes.
Que sublimes-tu ou aimerais-tu sublimer sur ce disque ?
Sublimer est le premier mot qui m’est apparu pour faire cet album alors que je n’avais même pas encore commencé à composer les musiques. Au départ, c’est né d’une lettre que j’ai écrite à un ami pendant des heures en pleurant et finalement, je ne l’ai jamais envoyée. Après coup, je me suis dit que c’était du gâchis d’avoir écrit toutes ces feuilles pour rien, j’ai eu l’idée de les rapper et c’est ainsi que sont nées les cinq premières chansons. Il est question de sublimer une tristesse, un manque de communication, des douleurs, des violences, des non-dits, des choses très dures, un amour impossible…ça peut être plein de choses.
Quelles thématiques y abordes-tu ?
Sur ce disque, je parle beaucoup des violences physiques, psychologiques, sexuelles, qui peuvent être dans le monde du travail ou entre deux personnes ou dans la société. Je parle d’injustices, de situations qui font qu’on a de quoi être indigné et comment est-ce qu’on peut y réagir. Cet album parle aussi d’une révolte sur le fonctionnement globale de notre société qui se prétend « moderne » mais qui reste profondément archaïque malgré toutes les évolutions technologiques puisque nous sommes toujours incapables de veiller sur le bien-être des gens, des animaux et de notre planète de manière plus globale. Je trouve qu’il y a une sorte d’« échec » dans notre progrès face à des choses qui sont très importantes. Dans ces chansons, je parle aussi beaucoup d’authenticité ; j’avais envie de vérité, de lumière, de sincérité dans un monde qui est très superficiel ; on le voit quand je blague sur le monde de la musique sur le titre « Le Gigolo Rigolo » ou même dans « Soundcheck » où je me moque des prédateurs sexuels. Tout ce monde-là du show-business a quelque chose de complètement ridicule et comme je suis née dans cet univers-là, à un moment donné, j’ai eu envie de mettre des mots sur des choses afin de m’en moquer.
Comment caractériserais-tu ton écriture ?
Je pense que je mélange plusieurs choses. J’aime beaucoup l’écriture surréaliste. J’ai lu pas mal de livres surréalistes qui évoquent des images improbables, quelque chose de très poétique et hors du monde et cela me plait beaucoup car du coup, on peut évoquer des choses qu’on n’arriverait pas à produire au cinéma même avec des millions alors qu’avec quelques mots, on peut tout de suite emporter les gens très loin et d’une façon qui est très économique. Dans mon écriture, on retrouve également de l’humour, du cynisme mais aussi de la douceur et de la tendresse. J’aime bien avoir une écriture très « instinctive ». Parfois, je dis les choses crûment avec des phrases chocs qui sont très directes comme dans « Narcissique ». A d’autres moments, ça peut être plus métaphorique. Ça dépend vraiment de l’humeur et du propos. J’aime bien avoir une palette très différente et cela est lié au fait que je lise et écoute des choses très variées. Je peux tout autant aimer « La Concubine de l’Hémoglobine » de MC Solaar que des morceaux hyper engagés de Keny Arkana mais comme je n’ai pas la voix pour faire ce genre de titres, je suis restée dans « ce que je suis ». Si dans l’écriture, je peux apprécier des chansons comme « Le Poinçonneur des Lilas » de Serge Gainsbourg et des chansons d’autrefois, je n’ai pas cherché à ressembler à un truc en particulier, c’est sorti spontanément comme ça avec beaucoup de rythme et de mélodie. A la base, je pense les choses réellement de façon « musicale ». Je me suis beaucoup amusée à rythmer les mots, à chanter à plusieurs voix, à les faire résonner, à les faire vivre, à les faire vibrer.
Peux-tu nous parler de la mise en images de « Narcissique » ?
Je n’avais pas de moyens pour faire ce clip, ma seule force de frappe était de savoir faire du montage et afin de ne pas partir dans des effets qui auraient pu faire kitsch, j’ai favorisé le montage cut pour être sûre de l’efficacité de ma réalisation. Au départ, j’avais dans l’idée de filmer certaines choses mais elles n’étaient pas accessibles autour de moi. Pour ce clip, je me suis amusée à aller chercher de ci de là des images gratuites sur Internet. Je me suis rendu compte que dans les moteurs de recherche, il n’avait que des choses où le monde est merveilleux ; la société est extraordinaire ; et c’était tout à fait à l’image de ce que je voyais défiler sur les réseaux sociaux où tout le monde est mignon et propre alors que l’on sait qu’il y a des guerres dégueulasses et des viols dans tous les sens. Puisque je n’arrivais pas à montrer le sens des paroles de « Narcissique », j’ai choisi d’utiliser cette hypocrisie-là et je me suis amusée à faire des contrastes assez violents entre la misère du monde et les gens qui font la fête. Le montage est très rapide car je voulais être parfaitement dans le rythme de la musique qui correspond à ce monde contemporain qui est trop speed. J’ai voulu être dans l’énergie de ce que je critique. J’ai souvent dit que j’adorais bien comprendre le fonctionnement du système que je « critique » pour mieux être le mauvais grain de sable qui va mettre le bazar dans ce système-là. J’ai utilisé tous ces codes-là pour servir mon message qui est à l’encontre.
As-tu prévu à plus ou moins court terme de présenter une version alternative de « Sublimer » avec des remixes ?
Je n’ai pas prévu de remixes mais j’adorerais jouer cet album en live avec des musiciens car j’ai tout fait complètement toute seule avec les moyens du bord. En live, les chansons de cet album pourraient avoir d’autres couleurs avec des phases improvisées et des délires.
Qu’aimerais-tu que le public retienne de « Sublimer » ? Un message, une intention…
Le fait qu’il puisse y avoir des artistes qui font des choses engagées, sincères, avec leurs imperfections sans chercher à se conformer forcément à des modes ou à des tendances ; je pense que mon album ne s’inscrit dans aucune d’entre elles. Au-delà de l’aspect musicalité qui peut être agréable, qui peut transporter ou faire danser, j’aimerais que le public puisse retenir des messages indignés ; je suis tout à fait dans la lignée du livre « Indignez-vous » de Stéphane Hessel ou d’ouvrages qui prônent la bienveillance comme « Plaidoyer Pour l’Altruisme » de Matthieu Ricard. J’aimerais que ce disque puisse susciter la réflexion et donner l’envie de ne pas baisser les bras ; il y a des gens qui croient en des choses et il faut perpétuer cela.
Quels sont tes prochains projets ?
Ma priorité sera de mettre sur pied le live de « Sublimer ». Le clip d’« Océan de Plénitude » ; qui est l’un de mes morceaux préférés de l’album ; sortira à l’automne. Sinon, je n’arrête pas de faire des DJ sets et j’ai intégré un groupe de Jazz avec Samy Thiébault, c’est très intéressant, j’y apprends plein de choses ; j’y joue de la flûte mais j’y intègre aussi des parties électroniques mais ce ne sont pas les musiciens qui suivent les machines, c’est moi qui les suis et il a fallu que je pense à toute une logistique technique pour pouvoir suivre des jazzmen hyper expérimentés ; c’est un beau challenge !