Rencontre avec Davy Sicard à l’occasion de la parution de son nouvel album « Bal Kabar » !
Tout d’abord, avant de parler de « Bal Kabar » ton nouvel album, peux-tu nous dire ce qu’est le maloya ?
Le maloya est la musique dont nous avons hérité des esclaves à La Réunion. Comme nous n’en connaissons pas vraiment l’origine, le terme maloya peut signifier le mal du pays ; un mal-être, une forme de blues ; mais aussi la honte ou la sorcellerie dans certaines langues d’Afrique. On se dit que le maloya est d’origine Afrique-Malgache, on ne sait pas trop. La première musique qui a été entendue à La Réunion a été qualifiée de musique des noirs et le terme originel était chéga qui est devenu depuis séga qui lui-même est devenu le séga Créole lorsqu’il s’est mélangé à des influences Européennes notamment des instruments à cordes et plus tard, le terme maloya est apparu et il s’apparenterait au chéga originel. C’est vraiment le blues de La Réunion et lorsqu’il y a véritablement des soirées de maloya, on appelle cela des kabars. Le maloya est pour beaucoup le moyen de raconter ce qu’ils vivent ; des moments forts, beaux et moins beaux aussi. Outre le fait que le maloya est également par voies de conséquences un support d’éducation et de philosophie, il est aussi utilisé dans un cadre plus spirituel, il sert de médian pour communiquer avec les esprits des ancêtres ; dans ce cas-là, on parle de services kabarés.
Pourquoi avoir baptisé ton disque « Bal Kabar » ?
Parce que je voulais, pour la première fois d’ailleurs, faire ressortir le côté séga que j’aime beaucoup de La Réunion mais celui que l’on entendait dans les années 70-80 car entre temps il a évolué et je suis d’avantage attaché à celui que j’ai connu quand j’étais enfant. Kabar pour le côté dire ce que l’on a dire et pour le fait d’exprimer des choses profondes car le maloya est en rapport avec cela alors que le séga tel qu’on le connait depuis 40 ans exprime des choses plus légères. Je voulais porter un regard sur la société en prenant appui sur des faits d’actualité. Il me semblait qu’on pouvait dire les choses en prenant un ton un peu léger pour que ça vienne contrebalancer.
En 2008, tu avais sorti un album intitulé « Kabar », ton nouveau disque a-t-il un rapport avec celui-ci ?
Dans ma première intention, non mais j’ai constaté alors que ce n’était pas spécialement volontaire que mon premier album s’appelait « Ker Volkan », le second « Ker Maron », après il y a eu « Kabar », « Mon Pei » et « Mon Zanfan » et donc, « Kabar » était resté un peu tout seul. Aujourd’hui, je me dis qu’avec « Bal Kabar », j’ai un peu fait la symétrie ; le pendant ; et ça me va bien au final.
Peux-tu nous parler du concept qu’il y a dans ton nouvel album ?
Cet album se présente comme une émission qu’elle soit radiophonique ou télévisuelle et pour se faire, il y a un animateur qui n’a pas été choisi au hasard. Nous sommes vraiment honorés qu’il ait excepté de se prêter au jeu. Tout le monde à La Réunion l’appelle affectueusement Dédé, il s’agit d’André Maurice. Il a fait 40 ans de radio, il est incroyable, c’est une encyclopédie vivante. Dédé ouvre et clôture l’album.
De quoi parles-tu sur ce nouveau pas discographique ?
Dans le déroulé de l’album, j’aborde des sujets qui sont en rapport pour la plupart avec des faits d’actualité passés, actuels et peut-être à venir ou alors intemporels car ce sont des sujets qui perdurent. Sur « Bal Kabar », on retrouve également une chanson qui parle du conte Granmer Kal. Dans cette chanson qui dure plus de 8 minutes, j’oppose Granmer Kal à Halloween ; par ce biais, je me demande si les cultures qui viennent de l’extérieur sont véritablement le problème ou si ce ne serait pas le manque de valorisation de nos propres cultures. Pour ma part, je pense que les cultures sont faites pour voyager et pour être partagées mais maintenant, lorsque l’on a la sienne qui est bien établie, il nous incombe de la valoriser.
Y-a-t-il eu un déclic pour créer cet album résolument engagé ?
Consciemment, non ; en revanche, la plus ancienne chanson de cet album date de 2016 et elle fait suite à l’attentat de Nice. Inconsciemment, « Vous N’Aurez Pas Mes Larmes » fait écho au livre « Vous N’Aurez Pas Ma Haine » d’Antoine Leiris. Il y a eu une envie de dire les choses, peut-être que c’est parti de là, je ne saurai pas le dire. Sur la plupart de mes albums, il y a toujours une volonté de porter un regard sur la société qu’elle soit particulièrement locale ou externe et j’ai voulu que ce disque se porte là-dessus. J’ai notamment écrit une chanson sur l’histoire de l’archipel des Chagos qui est un drame incroyable qui existe depuis des années mais dont on ne parle pas vraiment. Il se trouve qu’au moment où je faisais le mastering de l’album, la cour internationale de justice à donné raison aux Chagossiens par l’intermédiaire des Mauriciens pour qu’ils puissent leur revenir.
Justement, tu viens de nous parler du livre d’Antoine Leiris, peux-tu nous en dire plus sur cette référence ?
Je vais encore te parler de mon inconscient…Le 14 juillet 2016, comme beaucoup de téléspectateurs, j’ai vu ce camion foncer sur ces gens qui se baladaient sur la Promenade des Anglais et instantanément en même temps que les larmes me montaient aux yeux, la phrase qui donne son nom à cette chanson est venue. Deux ou trois semaines plus tard, j’ai terminé ce titre mais je l’ai rangé dans un tiroir car il y a eu tellement de témoignages sur la toile que par pudeur, je ne me suis pas senti de le partager à ce moment-là. Je n’avais pas envie d’être perçu comme celui qui surferait sur le malheur des gens. Quelques semaines plus tard, nous devions ; mon épouse et moi ; venir en France pour une tournée et souvent je lui prends des livres pour le voyage. En entrant dans un espace multimédia, je vois sur un présentoir un livre qui s’intitule « Vous N’Aurez Pas Ma Haine ». Ça m’a interloqué un petit peu car l’écriture de la chanson avait été très prenante pour moi et même si j’avais préféré la ranger, elle me travaillait toujours si bien que j’en parlais avec des proches afin de savoir ce qu’ils en pensaient. Pour une fois, j’ai pris ce livre pour moi, je l’ai lu et lorsque j’ai terminé la lecture de cette œuvre, je me suis dis que j’allais en faire quelque chose. Ce n’est que plus tard que je me suis souvenu avoir vu Antoine Leiris sur un plateau du JT. J’avais du ranger l’information quelque part. C’est pour cela que j’ai inscrit cette référence dans le livret de l’album car il me semble bien plus raisonnable et rationnel de dire que c’est vraiment en écho à son livre.
Quelles ont été tes envies musicales sur « Bal Kabar » ?
J’essaie de me renouveler à chaque album et partir dans de nouvelles rythmiques et de nouveaux thèmes n’est pas une chose simple. D’un point de vue plus musical, mon envie était de servir un maloya toujours un peu cabossé-relativement nouveau. La grande nouveauté de cet album, me concernant, c’est que je me suis autorisé à faire du séga tout en gardant des textes conscients. Quand André Maurice est venu enregistrer pour l’album, il m’a dit qu’il y avait eu très peu de séga conscient et ça m’a fait plaisir ; je n’invente rien mais ça fait une proposition un peu différente qui invitera peut-être d’autres artistes à revenir vers ce type de séga qui est un peu délaissé.
Quelle couleur donnerais-tu à ton nouvel opus et pourquoi celle-ci en particulier ?
C’est compliqué, tu me poses une colle… mais il est vrai que le jaune va bien à ce disque ; du jaune plus ou moins foncé ou clair car il y a quand même de la profondeur et de la légèreté dans cet album. Il y a de la lumière en tout cas.
Est-il prévu que tes textes en créole soient traduits pour que ceux qui ne parlent pas la langue puissent avoir accès immédiatement aux paroles de tes chansons ?
Absolument et je l’ai fait pour chacun de mes albums car j’attache un certain soin à mes textes et je pense que c’est bien que les gens puissent comprendre de quoi ils parlent même s’ils ne pratiquent pas la langue Créole. Evidemment, une traduction ne va pas tout dire de la même façon mais j’essaie de traduire de la manière la plus ouverte et précise pour faciliter l’accessibilité.
Aimerais-tu monter un spectacle qui allierait différents arts autour de « Bal Kabar » afin que cet album fort prenne tout son sens sur scène ?
Mais absolument ! J’aimerais beaucoup ! Je l’ai déjà plus ou moins en tête mais la situation actuelle ne permet pas de trop grosses projections parce que demain semble flou, un spectacle d’autant plus. J’aimerais au moins associer la danse à ce spectacle mais autre chose encore…Dans le livret de l’album, il y a cinq illustrations dont une de mon fils. Nous avons eu cette chance que des illustrateurs reconnus à La Réunion acceptent d’illustrer certaines chansons. Le dessin serait donc possiblement associé à ce spectacle et j’ai d’autres idées encore…Il se trouve que 2020 est l’année de la BD et j’ai ouï dire qu’elle serait prolongée en 2021 ; ce qui me semblerait assez logique.
D’après toi, à quoi inviterait ton nouveau disque ?
J’aimerais que cet album permette à des Réunionnais de porter un regard sur le reste du monde ; c’est une modeste incitation ; et de permettre à ceux qui ne connaissent pas La Réunion ou qui n’y vivent pas de voyager au travers de cet album en ayant autant du séga que du maloya bien qu’il ne soit pas traditionnel. J’espère que ce nouveau disque permettra un voyage et d’échanger des points de vue.
Davy Sicard - Joli Foular (Clip Officiel)
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