Rencontre avec DEGEYTER au Studio Luna Rossa à l’occasion de la parution de son premier EP !
Comment te présenterais-tu à nos lecteurs ?
Je m’appelle Lucas et je suis auteur-compositeur. Dans DEGEYTER, je suis le chanteur. A la base, je suis batteur puis j’ai été batteur-chanteur et, maintenant, je suis et batteur et chanteur. J'ai fait pas mal de musique pour le théâtre et de la batterie pour d'autres groupes. Mon truc, c'est le rock et ça va du Blues jusqu’au Black Metal, bref, à partir du moment où il y a une guitare électrique ou un clavier.
Qui t’accompagne dans DEGEYTER ?
DEGEYTER est un trio : je suis accompagné de Denis à la guitare et de Jérôme à la basse et aux machines. C’est dans ce projet que j’ai voulu prendre la place unique de chanteur et, pendant ma première phase de composition, j’ai commencé par programmer des batteries. Ca sonnait bien. On a gardé l’idée et, du coup, jusqu’à aujourd’hui, on a troqué le batteur pour l’ordinateur.
As-tu tâtonné avant de te trouver artistiquement parlant ?
Oui, bien sûr et je continue de tâtonner. Beaucoup d’entre nous rêvent de se trouver ; moi, j’ai arrêté. Je sais que je chercherai toute ma vie. Et ça me plaît. La chose la plus importante pour moi est d'être à mon bon endroit et à mon bon moment, tout en sachant que ça va bouger et que ça bouge tout le temps. Sinon c'est mort. Pour « Bonjour Violence », en premier, j’ai travaillé avec Charles Caste, qui est un talentueux producteur de musique électronique ; je lui ai dit que j’avais envie de voir ce que ça donnerait s’il mettait son nez dans mes morceaux et je lui ai donné carte blanche pour les défoncer. Ca m’a donné plein d’idées pour pousser encore plus loin le truc. Et, enfin, on a demandé à Christophe Van Huffel, qui a été le réalisateur musical du fortement regretté Christophe, de réaliser le disque. Rencontre immédiate et géniale.
Aux confluents de quels styles te situerais-tu aujourd’hui ?
Imaginez Bowie, Bashung, Killing Joke et Pulp qui rentrent dans le studio d'enregistrement d’ABBA afin de faire une espèce de Rock baroque, une sorte de bordel Pop, vous mélangez tout cela et ça donne DEGEYTER !
Quel regard as-tu sur le Rock en France ?
Quelle que soit la musique, elle est toujours créée en fonction de la langue du pays dans laquelle elle est inventée. Parce qu’une langue, c'est un rythme. Le Rock, ça s'est créé dans les pays Anglo-saxons donc avec un phrasé particulier : celui de l’anglais qui est une langue très dynamique et qui fonctionne beaucoup sur la construction de mots avec l’usage de préfixes et de suffixes. Le français lui est beaucoup moins rythmique, percutant au niveau des sonorités, et par ailleurs plus basé sur la description de l’idée et donc sur la construction de phrases. Ce qui fait que ça peut nous prendre beaucoup plus de temps de dire quelque chose en français qu’en anglais. De fait, en France, sur l’ensemble de la production de musique en français, on a assez peu de Rock à proprement parler (bien sûr, on a eu Les Rita Mitsouko, Bashung, Higelin, Noir Désir, Christophe, Shaka Ponk, et d’autres, évidemment… et je parle de Rock et pas de Metal, parce que, ça, c’est un peu autre chose) et ce n’est pas anormal : ce n’est pas une langue facilement adaptable au rythme interne du rock. Sans oublier qu’on a tendance à vouloir rentrer dans le même cadre que les modèles alors, évidemment, beaucoup de groupes de Rock en France partent d’autant plus immédiatement sur l’anglais. Et je l’ai fait aussi, comme tout le monde. Sauf qu’à partir d’un moment, il est devenu extrêmement important pour moi de chanter dans notre langue. Parce que je suis Français, j'habite dans un pays avec des Français et que pour la grande majorité, ils ne comprennent pas bien l'anglais et le parlent encore moins bien. Et j’ai fini par trouver que tenter de copier ce qui se faisait mieux ailleurs, ça n'avait aucun intérêt. Donc j’ai travaillé pour trouver mon rythme : la somme de celui de mon rock et de celui de mon français. Par ailleurs, il ne faut pas oublier une chose, c’est qu’en France, on a une catégorie musicale qui cartonne et qu’on ne retrouve qu’assez peu ailleurs en tant que catégorie : « la Chanson ». C’est notre musique populaire, celle qui met en avant le texte, surtout. Un peu comme le Folk. Donc l’inverse du Rock qui met en avant le rythme. Mais aussi, il y a l’espèce de fourre-tout qu’on appelle « Variété » quand il y a un peu plus qu’une guitare sèche ou un piano. Le Rock, on ne se l’est pas vraiment approprié comme étant un style qui pouvait aussi être à nous et pas simplement un emprunt. Mais le Rock, à la base, et toujours maintenant, ce sont des chansons, dans le sens que ça raconte une histoire, une saynète, peu importe, mais ça, comme on n’a pas accès immédiatement aux paroles puisqu’en immense majorité en anglais, j’ai l’impression qu’on ne l’a jamais vraiment intégré. Donc pourquoi s’emmerder à cloisonner autant ? Faisons plus de Rock en français ! Mais évidemment, avant toute chose, et c’est sa base, le Rock, c’est un esprit... que tout le monde n’a pas. Fièrement mauvais, souvent. Combattif, tout le temps. Et très aimant à l’égard des bizarres qui l’écoutent. Parce que, pendant longtemps, le Rock était considéré comme de la sous-culture et, les fans, des demeurés. Le Rock ça faisait mauvais genre ; ça faisait peur à la bourgeoisie. C’était sale et sexuel. Ca défiait les normes en place. Ca serait pas mal qu’on y revienne, d’ailleurs… Alors, pour ma part, je fais des chansons avec des guitares saturées, des claviers, des batteries qui cognent et un esprit du genre décrit plus haut. Et c’est du Rock.
Quelles thématiques abordes-tu sur « Bonjour Violence » ?
Sur cet EP, je m’interroge sur ce que « je » suis, comment « je » suis, ce que « je » veux être, comment « je » veux être, comment « je » me vois, et dans des situations différentes à chaque fois. C’est moi qui parle mais en même temps, c’est comme si j’étais quelqu’un d’autre. Je raconte des histoires. Mais des histoires qui tournent autour du sujet du doute, quel qu’il soit.
Peux-tu expliciter le titre de cet EP ?
On est dans un monde qui est extraordinairement violent à tous les niveaux. Pas que physiquement mais aussi mentalement. En grande majorité, les peuples sont de moins en moins heureux, ont de moins en moins confiance en l’avenir, vivent de moins en moins bien ; et tout le reste. Ce qu’on se prend dans la gueule politiquement, par exemple, dans le monde entier, c'est d’une violence abyssale ! Et cette violence, on la subit tous (ou presque…). Et je crois qu'il y a un moment où il faut arrêter d’avoir peur, que ce soit de l’autre ou de soi, et dire : « Allez viens, vas-y je t'attends : moi aussi, j’en ai à revendre. Bonjour violence ! »
Comment décrirais-tu ton univers ?
Intense, heureux tout en étant violent ; puissant, lumineux tout en étant parfois assez sombre ; ça dépend des chansons et même de moments dans les chansons. Et fédérateur ; je l’espère. Mais ça, ce n’est pas moi qui décide.
Le Marsupilami présent sur la pochette de « Bonjour Violence » est-il là pour illustrer une part d'enfance qui t'habite encore ?
Oui, d’une certaine manière. Je me considère comme un éternel adolescent. Pas comme le disent certains pour se donner l’impression de ne pas vieillir ou justifier des conneries – HA ! mais je crois que, paradoxalement, l'adolescence est la dernière chose que l’on maîtrise réellement car, si c'est le moment où c'est le plus grand bordel en nous (d’un point de vue hormonal et physique, certes, mais aussi psychologique), c’est vraiment à chacun d’entre nous ; chacun la sienne. L’adolescence est d’une violence incroyable, elle fait le pont entre l’enfance où tout est possible et où tout est magique, et l’âge adulte. Sauf que, l’âge adulte, est-ce que quelqu’un comprend vraiment ce que c’est ? En tout cas pas moi. Un jour on te dit que tu es en âge de trouver un boulot, payer tes impôts, et fonder une famille « et voilà, maintenant, tu te démerdes ». Ok. Perso, ce genre d’objectif, ça ne m’intéresse pas du tout. L’adolescence, tu t’en prends certes plein la gueule de l’intérieur, de l’extérieur, mais c’est à toi. C’est le bordel, mais c’est ton bordel. Et c’est le moment où tu te rêves le roi du monde et tu es sûr, entre deux déprimes de trois jours, comme un môme, que tu le seras. Sans parler des sentiments à vifs en permanence, ta capacité à aimer follement comme à détester hors de toute mesure… C’est incroyable ! Le Marsupilami que l’on voit sur la pochette est vraiment le mien : je l’ai depuis toujours et il est bien rangé avec mes souvenirs d’enfance. Ce Marsupilami qui n’a plus de nez, c'est aussi une époque : celle où on ne passait pas son temps à tout surprotéger. Du coup, son nez était en plastique dur. Et il était désagréable. Alors, comme j’aimais ma peluche, je lui ai arraché le nez pour pouvoir en profiter sans entrave. C’est ce qui fait qu’il a une tête comme aucune autre. J’avais trois ans. Mon premier Bonjour Violence, d’une certaine manière. HA !
« Only 4 U » s'adresse-t-il à une personne en particulier ou plus globalement au public ?
T’es pas con, toi ! C’est une déclaration d’amour qui ne s’adresse ni à une personne en particulier ni qu’au public. Ce morceau est un exemple parfait de ce qu’est l’adolescence : ses enjeux, ses décharges d'énergie et de sentiments, ses doutes. « Only 4 U » est avant toute chose une déclaration d’amour au gamin de 14 ans que l’on a tous été.
Qu'est ce qui ressort le plus de tes prestations en live ?
Je n’en sais rien parce que ça ne m'appartient pas. En revanche, ce que je sais, c’est que lorsque je mets un pied sur un plateau, je suis l’homme le plus heureux de la Terre. Ce que l’autre va prendre du live, c’est son problème, ce n’est plus le mien ; ça le regarde. Il n’y a qu’une façon de se l’approprier, c’est de venir à un concert !
Quels sont tes prochains projets ?
Le 18 juin, nous organisons la DEGEYTER PARTY, c’est ouvert à tout le monde sur inscription uniquement via un lien que l’on peut trouver sur les réseaux sociaux. Le lieu ne sera pas révélé tout de suite mais ça sera à Paris. Ça sera un vrai moment de partage : on boira des coups, on dira des conneries et on en fera, et au milieu de tout cela, il y aura un concert de DEGEYTER. D’autres dates sont en train de se programmer en province et à Paris. D’autres choses sortiront dans un avenir relativement proche...