Retrouvailles avec Thomas Caruso Aragona au Studio Luna Rossa à l’occasion de la parution d’« Un Garçon Sensible » !
Que s’est-il passé artistiquement parlant pour toi depuis la parution d’ « Ô Barbarie » il y a quatre ans ?
C’est vrai que ça fait longtemps ; ça file ! Il s’est passé plein de choses. Tout d’abord, j’ai quitté Universal. J’ai écrit et composé pour d’autres artistes mais également pour moi. J’ai appris à faire des arrangements, du mixage, de la réalisation…je n’avais jamais fait ça auparavant. J’ai fait des formations afin de manier des logiciels informatiques. En parallèle à la musique, le théâtre est redevenu une activité très importante dans ma vie. Entre mes 20 et mes 27 ans, je n’ai fait que du théâtre et ensuite, je l’ai arrêté pour ne faire que de la musique ; écrire pour d’autres, publier mes deux singles et faire des concerts. Quand Eric Carrière du duo Les Chevaliers du Fiel m’a proposé de jouer dans sa nouvelle comédie, ça m’a remis en confiance avec cet art que j’avais un peu oublié car ça faisait quand même à peu près cinq ans que je ne jouais plus. Je me suis rappelé à quel point j’aimais le théâtre et je me suis dit que cette fenêtre de vie était assez adaptée pour que j’y retourne. J’ai écrit quelques spectacles que j’ai mis en scène et que je développe ; j’ai crée La Comédie des Alpes chez moi à Chambéry. J’ai pour projet de monter un théâtre dans ma région, on y jouerait dans un premier temps les spectacles que j’ai écrits mais aussi ceux qui cartonnent à Paris en récupérant les droits.
Pourquoi as-tu attendu aussi longtemps pour revenir ?
Quand j’ai quitté mon ancien label, j’ai dû me reconstruire tout doucement d’un point de vue personnel même si j’ai continué à beaucoup écrire et composer pour d’autres artistes. Récemment, Jenifer a publié « Sauve Qui Aime » ; ce titre est le quarantième auquel j’ai participé et qui est sorti dans le commerce ; comme on connait les prévisionnels, je voyais arriver cette quarantième chanson et c’est là que je me suis dit que je n’en avais sorti que deux pour moi-même. Je me suis mis un peu un coup de pied aux fesses afin de développer mon projet comme je le souhaite vraiment car je suis totalement libre et livré à moi-même maintenant. Ça a pris un petit temps de gestation, de prise en charge émotionnelle et personnelle ; il a fallu le temps de s’affronter un peu. J’ai écrit, composé, réalisé et mixé seul un certain nombre de chansons. Ça a été un vrai travail de solitude. Ensuite, j’ai envoyé mes démos à des labels que j’aimais bien, tout le monde a manifesté un certain intérêt mais sans s’engager et là, je me suis dit que ça pouvait encore durer dix ans comme cela ; je connais trop bien ce milieu ; j’ai donc monté ma structure ; Courant Curieux ; et j’ai produit mes titres.
Comment se fait le choix de garder une chanson pour toi ou de la donner à un autre artiste ?
Ce n’est pas un choix, c’est quelque chose qui s’impose naturellement. Le processus n’est pas du tout le même. Quand j’écris pour quelqu’un d’autre, il y a un vrai travail d’empathie, j’essaie de comprendre la personne en me mettant dans son état d’esprit. Par rapport à mes débuts, je peux rencontrer les artistes maintenant et c’est encore plus simple ; cela permet de sentir les vibrations et de discuter de leur vécu. La recherche du point de vue de l’autre est un exercice très intéressant. D’ailleurs, j’ai beaucoup de mal à garder pour moi une chanson faite pour quelqu’un d’autre ; ça ne m’est arrivé qu’une seule fois, c’était une chanson que j’aimais énormément et qui avait été écrite initialement pour Vanessa Paradis qui est une artiste que j’adore mais elle n’avait pas été retenue.
« Un Garçon Sensible » est-il une sorte d’autoportrait ?
Carrément ! C’est le moins que l’on puisse dire. La sensibilité ; et même l’extrême sensibilité ; est quelque chose qui me caractérise. J’essaie de maîtriser les choses et de vivre avec ; comme beaucoup, à notre époque ; ça peut être très difficile mais également source de plein de richesses. Pour ma part, j’essaie de transformer cette sensibilité en art.
Peux-tu expliciter la phrase « l’essentiel est invisible » ?
Tout d’abord, il y a un clin d’œil au Petit Prince de Saint-Exupéry. Ensuite, cela renvoie à ce qu’est profondément ma philosophie de vie. Pour moi, ce qui compte, c’est ce que je ressens, ce n’est pas du tout ce que je vois ou ce qui m’est donné à voir, il y a tout le reste, tout l’invisible, tout ce que l’on perçoit sans en avoir des preuves irréfutables. Je pense que notre instinct est notre boussole et nous devrions l’écouter plus même si c’est difficile car c’est quelque chose de très fin ; il faut savoir comprendre le langage de son propre instinct.
Comment as-tu voulu cette chanson d’un point de vue musical ?
Très sobre. Dans ce nouveau projet, j’ai voulu revenir à quelque chose d’extrêmement intime et donc de très simple. Quand j’étais signé chez Barclay, j’ai eu la possibilité de mettre de très gros arrangements sur mes chansons ; c’est un exercice que j’ai aimé ; mais je me suis rendu compte que je m’éloignais de moi car finalement, quand je joue, c’est en guitare-voix. C’est très intéressant d’agrémenter ses chansons avec quelques petits éléments choisis mais il ne faut pas pour autant qu’ils viennent noyer la création première sinon on s’éloigne de qui l’on est. Pour ce nouveau titre, j’ai juste voulu de la guitare, un petit kick, des petits samples que j’aime bien, une basse et c’est tout. Mon objectif est que l’on puisse recevoir le texte et percevoir la voix en premier lieu et que tout le reste soit un accompagnement.
On pourrait presque croire que garçon et sensible sont deux termes antinomiques, comment vois-tu cela ?
C’est très intéressant ce que tu dis car c’est exactement pour cela que je trouve que ce titre est fort. On a tendance à ne pas vouloir joindre ces deux mots alors qu’en réalité, ils vont absolument ensemble. Aujourd’hui, affronter sa sensibilité en tant qu’homme, c’est un exercice qui est très riche. On a tendance à penser que la sensibilité est plus proche de la féminité mais je ne vois pas pourquoi car c’est quelque chose qui appartient à tous les êtres vivants.
Que peux-tu nous révéler sur ton EP à paraître et baptisé « Un Garçon Français » ?
La plupart des chansons de cet EP qui contiendra cinq titres vont avoir le mot garçon à l’intérieur ; ça a vraiment été une volonté de ma part. Je trouve que le titre de cet EP est intéressant et très clivant finalement. A notre époque et même si c’est fou de dire cela, clamer que l’on est un garçon, c’est très clivant tout comme dire que l’on est sensible ou Français. Dire sans aucun jugement que je suis un garçon Français, je trouve ça fort et c’est exactement ce que je suis. J’aime l’idée de rendre leur valeur réelle aux mots en arrêtant toute cette pollution du prolongement qu’on leur donne. Sur ce disque, j’ai co-composé certaines chansons notamment avec Guillaume Boscaro qui est un ami de cœur avec qui j’avais œuvré pour Louane. Toutes ces chansons disent quelque chose de très intime ; si bien que mes proches sont presque gênés quand ils les écoutent. Avec tout mon vécu, j’aime encore la musique pour cela car elle peut aller chercher profondément dans l’intime. Ce disque devrait sortir cet hiver.
Qu’est-ce qui a fait que tu aies eu envie de te dévoiler de manière aussi intime sur ce disque ?
J’ai eu besoin d’un retour à l’essentiel. Je suis revenu aux sources. J’ai essayé de me reconnecter avec moi-même et avec les choses qui ont du sens. Il y a eu du questionnement et j’ai eu à cœur de dire des choses intimes. J’ai eu envie de vraiment m’exprimer tout en n’utilisant plus la musique seulement comme un outil comme je peux le faire quand j’écris pour d’autres. Même si ces chansons ne toucheront peut-être que quelques personnes, l’important est que j’en sois fier. Faire ces chansons m’a fait du bien.
Imagines-tu des mises en images avec des archives personnelles afin de renforcer encore plus ce côté intime ?
Absolument et c’est marrant que tu dises cela car l’un des clips à paraître est fait uniquement avec des images d’archive. Cette chanson est tellement intime que cela avait du sens de l’illustrer ainsi. Ça se ressent dans cet EP ; ces derniers temps, j’ai eu besoin de me reconnecter avec le moi de tous les âges, je suis rentré à Chambéry, je suis allé beaucoup en Italie chez mon père…j’ai eu besoin de rentrer dans mes madeleines de Proust, mes domaines de l’intime, pour me reconnecter avec moi et pour remarcher dans mes propres traces afin de retrouver qui j’étais vraiment et ce que j’avais envie d’être.
As-tu prévu de développer le propos de cet EP sur scène ?
Je suis en train d’y réfléchir. Vincent Delerm que je trouve extrêmement pertinent et fin fait cela sur scène, j’avais adoré son spectacle « Memory » ; le format était vraiment fabuleux. J’aimerais bien me diriger vers des ponctuations musicales avec du vrai jeu de théâtre. Aujourd’hui, ma vie est faite de théâtre et de musique ; j’ai enfin atteint un stade d’équilibre où les deux sont des vases communicants. Par ailleurs, j’ai également atteint une forme de liberté artistique que je n’avais pas auparavant ; aujourd’hui, je fais vraiment ce que j’ai envie de faire et j’ai la chance d’être autonome, je peux produire mes propres chansons et mes propres pièces de théâtre. Ma compagnie et mon label pourrait tout à fait se joindre sur mes concerts durant lesquels je pourrais jouer et chanter…