Rencontre avec Wax Tailor à l’occasion de la parution de son nouvel album !
Peux-tu expliciter pour nous le titre de ton nouvel album baptisé « The Shadow Of Their Suns » ?
En français dans le texte, ce titre signifie l’ombre de leurs soleils. C’est une figure un peu allégorique. J’ai ce titre en tête depuis très longtemps ; cette phrase est extraite de « La Lumière Crue » un morceau que j’ai écrit il y a plus de 20 ans. Pour moi, cela fait écho à l’idée que nous sommes dans une société où une grande masse de gens sont contraints à cette forme d’ostracisation dans l’ombre. Ce que j’appelle des soleils, ce sont différentes formes de lumières, ce sont les gens qui n’ont pas le droit de cité d’une façon ou d’une autre. Par extension, c’est également protéiforme, même si ce n’est pas le même degré d’implication; les artistes-producteurs indépendants vs l’industrie musical, nous sommes également un peu dans l’ombre de ces soleils-là ; de cette médiatisation.
Peux-tu nous en dire plus sur la symbolique de ce poing levé qui illustre la pochette de ton nouveau disque ?
La pochette est un vrai contrepoint pour bien marquer la distanciation ; ce n’est pas une lecture littéraire du titre ; c’est un regard sur des gens contraints à l’ombre d’une certaine façon. Il s’avère que c’est un poing levé mais c’est surtout une main ; elle est par extension celle de la main d’œuvre. Nous sommes dans une société dématérialisée dans laquelle nous perdons un peu le fil ; plein de choses ont été déshumanisées depuis très longtemps et nous avons perdu le rapport à l’ouvrier. Nous nous sommes fait dévoyer le langage et certains termes nous le prouvent bien. Je suis parti de la main qui travaille, la main qui a du sens, la main de quelqu’un qui construit, qui fait quelque chose. Je me suis dit que l’imagerie séculaire était intéressante car cela fait plus d’un siècle que ce symbole existe ; il a été ultra utilisé et récupéré. Cette main de quelqu’un qui est exploité peut faire ce geste un jour. Elle peut se réapproprié cela et d’ailleurs, on le voit bien dans tous les mouvements qui ont pu éclore sur ces vingt dernières années. On voit bien que quelque part, on est sur une fin de cycle dans notre société.
Pourquoi as-tu fait le choix d’annoncer ton sixième opus il y a plus d’un an avec « The Light » un morceau instrumental ?
Je suis quelqu’un qui a besoin d’entrer dans des cycles par rapport à la musique et aux albums et d’y réfléchir. Le titre de l’album était déjà là et cela m’a aidé à le construire. J’ai purgé tout ce que j’avais amassé comme ressentiments personnels mais tout ce que je raconte reste en filigrane. Je suis convaincu que quelqu’un peut écouter ce nouvel album et passer à côté de la dimension que je suis en train d’amener. La musique peut être une forme de catharsis pour ce que l’on a en soi mais pour plein de gens, cela reste de la musique et des atmosphères en premier lieu. Pour moi, « The Light » a été une façon de présenter le schéma de tout ce que je voyais. Musicalement, il y avait une forme de noirceur dans ce morceau, c’est quelque chose que j’avais en moi et « The Light » a été une sorte de curseur. Avec ce morceau, je disais que j’étais en train de préparer un album et qu’il ne serait pas forcément pour les anniversaires et les mariages ; ce qui ne veut pas dire qu’il est glauque.
Quel(s) message(s) as-tu voulu faire passer avec la mise en images de ce morceau ?
Chacun peut se faire ses propres représentations mentales sur ce morceau mais pour sa mise en images, j’avais envie de mettre en avant ce qui m’avait nourri moi-même en termes d’images. J’aime l’idée de mettre en relief des images que tout le monde connait. Quand on regarde le clip de « The Light », on pourrait le résumer par à l’ouest, rien de nouveau. Je n’ai rien appris de nouveau à personne mais je trouve que les mises en perspective ont l’art de reconcentrer les choses. Ce clip est comme un état des lieux, j’ai remis les choses dans leur contexte afin de montrer où nous en sommes aujourd’hui.
« The Shadow Of Their Suns » a été défendu par « Misery », le propos développé dans ce titre provient-il d’un discours déjà existant ?
Absolument ; il s’agit d’un discours de Mario Cuomo ; ancien gouverneur de l’État de New York dans les années 80, il était démocrate mais plus proche d’un Bernie Sanders que d’un Joe Biden. Mario Cuomo a fait ce discours en 1984 lors de la campagne primaire et ça s’adressait à Ronald Regan qui est vraiment pour moi l’incarnation du monde dans lequel nous vivons. Regan, Thatcher…ce sont les bases du néolibéralisme et de l’ultralibéralisme d’aujourd’hui. Déjà à l’époque, Mario Cuomo pointait du doigt cette problématique en réponse à un discours de Regan dans lequel il parlait des villes où tout allait bien alors que Cuomo abordait le désespoir que l’on ne voyait pas ou plus. J’ai trouvé que ce discours était très fort et qu’il y avait quelque chose de très universel dedans ; l’orateur était très très bon aussi. Je trouvais ça intéressant de le recontextualiser. Je l’avais déjà fait il y a très longtemps avec « Le Dictateur » de Chaplin. 40 ans après, on réécoute le discours de Cuomo et on se rend compte que pas grand-chose n’a bougé. Nous sommes dans les mêmes problématiques qui n’ont fait que se renforcer. Je voulais mettre cela en exergue avec le refrain antinomique « misery is my friend ». La misère n’est bien évidement pas une amie mais c’est une seconde peau.
Le clip de « Misery » serait-il ta vision d’un futur qui n’est peut-être pas si lointain ?
C’est surtout la vision de Berkay Turk avec qui j’ai travaillé. Je suis toujours impliqué dans mes clips mais n’en étant pas le réalisateur, il y a toujours une confrontation d’idées qui est intéressante. A la base, je ne serai pas parti sur cette esthétique mais nous en avons pas mal discuté. J’aimais bien la symbolique de l’émoticône car c’est un vrai reflet de notre société d’aujourd’hui et de la façon dont on résume nos états d’âme. Avant, on disait que la religion était l’opium du peuple alors maintenant, ce sont les réseaux sociaux. Quelque part, c’est une nouvelle forme de religion. Il y a quelque chose de sacro-saint avec ça. J’aimais bien l’idée de ce rapport dystopique, de l’utiliser et de le retranscrire en imaginant comment on pourrait aller vers une dérive qui est bien évidemment un peu caricaturale dans sa forme ; de la même façon que « 1984 » de George Orwell reste une caricature dans un sens mais qui a été largement dépassée dans sa forme et dans son fond.
Comment as-tu pensé musicalement parlant ce morceau ?
Quand j’ai commencé ce morceau, il y a eu immédiatement quelque chose de très mineur et de très nostalgique qui s’en est dégagé et j’ai eu tout de suite l’idée de lui donner cette dimension un peu sociale. Durant sa construction, ce morceau m’a renvoyé des flashes ; j’ai vu notamment des trains de banlieues New-yorkaises traversant des zones désolées et reculées où l’on laisse les gens un peu à l’abandon. De fil en aiguille, ça m’a fait voyagé. Je me suis rappelé de la période où j’étais en tournée aux États-Unis il y a une dizaine d’années après la crise des subprimes, nous avions traversé la zone de Baltimore-Philadelphie et à chaque coin de rue, il y avait des affichettes où il était marqué que les promoteurs achetaient les maisons pour 10000 dollars. L’idée de travailler sur cette teneur est venue de ça.
Quels sont les thématiques abordées sur « The Shadow Of Their Suns » ?
Elles sont multiples. La particularité de cet album est qu’il y a un peu plus d’espace sur des titres dits instrumentaux. Je me suis donné quelques lignes directrices et mon garde fou a été de ne pas tomber dans le côté donneur de leçon sinon donneur à penser car cela reste de la musique. Je n’ai pas velléité ni prétention à réveiller les consciences avec ce disque. Je pose des jalons, je présente un plan large.
Ton nouvel album est totalement raccord avec notre époque et pourtant tu as composé ce disque avant tout ce que nous vivons depuis bientôt un an déjà…Peut-on parler d’anticipation en quelque sorte ?
Non, clairement pas. Je dirais que nous avons un temps de réaction qui est très très lent. Comme je suis musicien, le lundi matin, je ne vais pas travailler à l’usine, cela veut dire que j’ai du temps pour réfléchir et ce n’est malheureusement pas le cas de tout un chacun. Si tout le monde commençait à avoir le luxe de réfléchir, il y a longtemps que nous aurions réagi à beaucoup de choses. En revanche, j’ai vraiment le sentiment que nous sommes en fin de cycle ; j’y crois fort ; et cela veut dire que ça va péter dans six mois, dans deux ans ou dans dix ans…ça dépendra de la société.
On présente « The Shadow Of Their Suns » comme un long métrage sonore, puises-tu ton inspiration autant dans la musique que dans le cinéma ?
Oui, le cinéma est présent mais l’humeur générale est également beaucoup dans la lecture et dans le documentaire ; peut être plus sur cet album. Il y a une vingtaine d’années, j’étais plus sensible à certaines questions et beaucoup plus impliqué mais par la suite, on est pris dans nos réalités et alors les choses filent et on suit les choses plus à distance. Aujourd’hui, j’ai repris un peu plus de proximité avec tout ça et ça a nourri les choses. Le cinéma, par extension, on y revient ; certains films « piliers » interpelaient déjà à l’époque de leur sortie mais à vrai dire, cet art n’a pas forcément nourri l’album sinon dans le rapport au dialogue. L’utilisation des éléments parlés reste une chasse gardée pour moi et sur ce disque, j’avais envie de donner plus d’espace, de pousser le curseur afin de voir jusqu’où il était possible d’aller dans ce travail de déconstruction. Subrepticement, il y a quelque chose qui est de l’ordre de la manipulation. Nous sommes constamment manipulés mais toi aussi tu manipules car tu réutilises des éléments afin de leur faire dire des choses hors contexte. J’aime bien cette dimension-là.
Toi qui as déjà une riche carrière à ton actif, quel serait ton prochain désir artistique ?
Au niveau du studio et des disques, il y a des envies d’explorer des choses mais ce ne sont pas des envies folles dans le sens où je me rends compte que d’album en d’album, j’ai la sensation d’explorer beaucoup alors que finalement ce n’est pas si loin de ce que j’ai pu faire auparavant. C’est à la fois une force et une faiblesse. Il faut être honnête là-dessus. J’ai un univers marqué et j’y reviens comme un élastique parce que c’est mon ADN. J’aimerais bien travailler avec des musiciens, œuvrer différemment sur un one shot, faire des orchestrations plus big band/jazz, reprendre des titres…ça pourrait être une piste. En ce moment, je réfléchis à un autre type de format, pas forcément un album car c’est long mais des one shots avec d’autres producteurs. L’exercice du remix est intéressant car des gens travaillent et pensent ta musique différemment et toi aussi, tu peux le faire pour la leur. Je suis en train de fomenter cela avec quelques producteurs que j’aime bien…
WAX TAILOR - Misery (ft. Rosemary Standley)
NEW ALBUM - NOW AVAILABLE :https://wt.fanlink.to/tsotsComposed, arranged & produced by WAX TAILOR℗&© LAB'ORATOIRE 2020---------------------------------------...
Wax Tailor - Just A Candle (ft. Mark Lanegan)
NEW ALBUM - NOW AVAILABLE :https://wt.fanlink.to/tsotsComposed, arranged & produced by WAX TAILOR℗&© LAB'ORATOIRE 2020---------------------------------------...